Mais quel livre dois-je emporter pour mes vacances sur la lune?
François Rabelais
1483 / 9 avril 1553
Ecclésiastique et anticlérical, chrétien et considéré par certains comme libre penseur, médecin et ayant l'image d'un bon vivant, les multiples facettes de sa personnalité semblent parfois contradictoires. Pris dans la tourmente religieuse et politique de la Réforme, Rabelais se montre à la fois sensible et critique vis-à-vis des grandes questions de son temps. Par la suite, les regards portés sur sa vie et son œuvre ont évolué selon les époques et les courants de pensée.
sa vie
Son enfance se déroule probablement de manière similaire aux bourgeois aisés de son temps, bénéficiant de l'enseignement médiéval : le trivium (grammaire, rhétorique, dialectique) et le quadrivium (arithmétique, géométrie, musique, astronomie). Selon un témoignage rédigé au XVIIe siècle par Bruneau de Tartifume, Rabelais commence sa vie de cordelier au couvent de la Baumette avant de rejoindre celui du Puy Saint-Martin à Fontenay-le-Comte. Il se lie alors avec Pierre Lamy, franciscain comme lui, et correspond avec Guillaume Budé. En 1523, ils voient tous deux leurs livres de grec confisqués, la connaissance de cette langue étant alors jugée dangereuse par la Sorbonne comme incitant à la libre interprétation du Nouveau Testament. En obtenant un indult du pape Clément VII, ils réussissent à obtenir la permission d'intégrer l'ordre des bénédictins, moins fermé à la culture profane. À l'abbaye Saint-Pierre-de-Maillezais, il y rencontre l'évêque Geoffroy d'Estissac, prélat lettré nommé par François Ier. Ce dernier prend Rabelais comme secrétaire et le place sous sa protection. Quittant son habit de moine sans en demander officiellement l'autorisation, ce qui constitue alors un crime d'apostasie, Rabelais entreprend probablement un séjour à Paris entre 1528 et 1530, en commençant des études de médecine. Il entretient également une liaison amoureuse avec une veuve et devient père de deux enfants, légitimés en 1540
Le 17 septembre 1530, Rabelais s'inscrit à la Faculté de médecine de Montpellier, où il est reçu bachelier six semaines après. Le baccalauréat, correspondant alors au premier grade universitaire, suppose généralement plusieurs années de formation. Son obtention rapide s'explique par des connaissances livresques ou par d'hypothétiques études parisiennes antérieures. L'université jouit alors d'une excellente réputation parce qu'on y valorise l'expérience et, plus globalement, s'y joue le renouvellement de la discipline.
De février à mai 1535, dans un contexte houleux pour les évangéliques à la suite de l'affaire des Placards, Rabelais part brusquement de Lyon, ne laissant aucune trace. À la fin de 1534 ou au début de 1535 sort sa seconde parodie de roman de chevalerie, Gargantua, davantage imprégnée par l'actualité politique et favorable à la monarchie. En juillet, Jean du Bellay, nommé cardinal, toujours chargé de diplomatie, l'emmène de nouveau à Rome. Rabelais s'occupe également des affaires de son protecteur Geoffroy d'Estissac, lui servant entre autres d'agent de liaison. Le 18 janvier 1551, le cardinal du Bellay octroie à Rabelais les cures de Saint-Martin de Meudon et de Saint-Christophe-du-Jambet. Il ne réside pas à Meudon, mais peut-être à Paris ou dans le château de Saint-Maur, encore en construction. L'image de l'humaniste en bon curé de cette ville est une légende tardive.
son œuvre
Publié en 1532, Pantagruel raconte sur un mode burlesque la vie du héros éponyme, reprenant la trame des romans de chevalerie : naissance, éducation, aventure et exploits guerriers. Le géant, fils de Gargantua et de Badebec, vient au monde lors d'une période de sécheresse qui lui donne son nom. Après une enfance placée sous le signe d'une faim insatiable et d'une force démesurée, il entreprend le tour des universités françaises. À Paris, l'épisode fameux de la librairie Saint-Victor écorne les adversaires des humanistes, comme Duns Scot ou Noël Béda, au travers d'un catalogue imaginaire. La lettre de Gargantua rend un hommage vibrant à la renaissance du savoir par-delà le Moyen Âge, exhortant son fils à devenir un « abysme de science ». Puis apparaît Panurge, qui devient le fidèle compagnon de Pantagruel. Ce personnage fourbe multiplie les farces cruelles, les tours pendables et les bouffonneries. Pantagruel prouve son talent de juge dans l'inintelligible procès entre Humevesne et Baisecul avant que Panurge ne montre sa propre habileté dans un simulacre de controverse en langue des signes avec Thaumaste. Les Dipsodes, gouvernés par le roi Anarche, envahissent le pays des Amaurotes, à savoir l'Utopie sur lequel règne Gargantua. Pantagruel part donc en guerre. Lui et ses compagnons triomphent de leurs ennemis par des ruses invraisemblables : piège de cordes pour faire chuter les 660 cavaliers, livraison d'euphorbe et de « coccognide »] pour assoiffer l'ennemi contraint de boire. Peu après, Pantagruel triomphe de Loup Garou et de trois cents géants. Epistémon, soigné après une décapitation, raconte son séjour aux Enfers, où toute la hiérarchie terrestre est inversée. Les combats terminés, Pantagruel prend possession des terres des Dipsodes. Le narrateur explore ensuite le corps du géant, découvrant un autre monde. Il conclut l'ouvrage en promettant de raconter d'autres prouesses extraordinaires tout en invitant le lecteur de se garder des nuisibles hypocrites hostiles aux livres pantagruéliques.
Le second roman de Rabelais, toujours publié sous le nom d'Alcofribas Nasier, pose des problèmes de datation, la critique actuelle hésitant entre 1533-1534 et 1535. En raison de la répression royale de 1534, cette question importe pour évaluer la hardiesse du propos. Gargantua, longtemps jugé mieux construit que Pantagruel, s'en démarque moins par une supériorité stylistique que par son didactisme plus prononcé. Dans le célèbre prologue, le narrateur avertit ses lecteurs de ne point s'arrêter au sens littéral mais d'interpréter le texte au-delà de son apparence frivole, et de chercher la « substantifique moelle » de ses écrits. L'auteur multiplie en effet les allusions aux événements ou interrogations de son époque. Le récit commence par annoncer la généalogie du héros mais ne donne à lire qu'un poème illisible, Les Fanfreluches antidotées.
Publié en 1546 sous le nom de François Rabelais, bénéficiant du privilège de François Ier et de celui d'Henri II pour l'édition de 1552, le Tiers Livre est comme les autres romans condamné par la Sorbonne. À la forme de la chronique se substituent les discours des personnages, en particulier du dialogue entre Pantagruel et Panurge. En effet, ce dernier hésite à se marier, partagé entre le désir d'une femme et la crainte du cocuage. Il se livre alors à des méthodes divinatoires, telles l'interprétation des rêves et la bibliomancie, et consulte des autorités détenant un savoir révélé, comme la sibylle de Panzoust ou le muet Nazdecabre, des connaissances profanes, par exemple le théologien Hippothadée ou le philosophe Trouillogan, ou sous l'emprise de la folie, en l'occurrence Triboulet. Il est probable que plusieurs des personnages pressentis se réfèrent à des individus réels, Rondibilis incarnant le médecin Rondelet, l'ésotériste Her Trippa correspondant à Cornélius Agrippa. L'un des traits comiques du récit tient aux interprétations contradictoires auxquelles se livrent Pantagruel et Panurge, structure annoncée dès le chapitre III par l'éloge paradoxal des dettes.
Le Quart Livre de 1552, imprimé par Michel Fezandat, relate donc le voyage de Pantagruel et de ses compagnons partis afin d'interroger l'oracle de la Dive Bouteille. Celle-ci, peu évoquée, constitue en réalité un prétexte pour l'exploration ou la simple évocation de quatorze îles dont l'atmosphère fantastique laisse transparaître les tourments de l'époque. La première escale, l’île de Medhamoti, ouvre ainsi sur le merveilleux par une foire fabuleuse : Epistémon achète une peinture des Idées de Platon, Pantagruel acquiert trois licornes. La verve comique de Rabelais se vérifie ensuite par l'épisode des moutons de Panurge, lors duquel le marchand Dindenault perd la totalité de son bétail, ou lors de la satire carnavalesque des Chicanous, qui gagnent leur vie en se faisant battre. L'étouffement au beurre de Bringuenarilles, sur l'île de Tohu et Bohu, donne l'occasion d'un catalogue de morts extraordinaires. Par son sujet, il rejoint la discussion sur l'île des Macraeons à propos des conceptions païennes et chrétiennes de l'immortalité de l'âme.
En 1562, soit neuf années après la mort de Rabelais, paraît L'Isle Sonnante, édition partielle du Cinquième Livre, constituée des 16 premiers chapitres. Une version de 47 chapitres voit le jour deux ans plus tard. Un manuscrit se trouve également conservé à la Bibliothèque Nationale. Dès le XVIIe siècle, l'authenticité de ce dernier opus se trouve remise en question. À la fin du XXe siècle coexistent encore des positions contraires en faveur ou non de l'attribution du texte à Rabelais, même s'il s'avère probable qu'il s'agisse de brouillons remaniés par les éditeurs.
ses livres
Pantagruel 1532
Les horribles et espoventables faictz et prouesses du tresrenommé Pantagruel Roy des Dispodes, filz du Grand geant Gargantua
Gargantua 1534
La vie inestimable du grand Gargantua, père de Pantagruel
Tiers Livre 1546
faitz et dictz Heroïques du noble Pantagruel
Quart Livre 1548
faictz et dictz Heroïques du noble Pantagruel
Isle Sonnante 1562
la navigation faicte par Pantagruel, Panurge et austres ses officiers
Cinsquiesme Livre 1564
faicts et dicts Heroïques du bon Pantagruel