Mais quel livre dois-je emporter pour mes vacances sur la lune ?
Honoré de Balzac
20 mai 1799 / 18 août 1850
Dans la Comédie humaine, Balzac a couvert tous les genres : fantastique et philosophique avec la Peau de chagrin, réaliste avec le Père Goriot, et aussi romantique avec le Lys dans la vallée. Il a produit une œuvre titanesque qui servira de référence à son siècle et au siècle suivant, donnant ainsi ses lettres de noblesses au roman, jusque-là confondu avec le feuilleton populaire.
Honoré de Balzac, né Honoré Balzac à Tours le 20 mai 1799 et mort à Paris le 18 août 1850, est un écrivain français. Il fut romancier, dramaturge, critique littéraire, critique d'art, essayiste, journaliste, imprimeur, et a laissé l'une des plus imposantes œuvres romanesques de la littérature française, avec 91 romans et nouvelles parus de 1829 à 1852, auxquels il faut ajouter une cinquantaine d'œuvres non achevées, le tout constituant un ensemble réuni sous le titre de Comédie humaine. Travailleur forcené, fragilisant par des excès sa santé déjà précaire, endetté par des investissements hasardeux, fuyant ses créanciers sous de faux noms dans différentes demeures, Balzac a vécu de nombreuses liaisons féminines avant d'épouser, en 1850, la comtesse Hańska qu'il avait courtisée pendant plus de dix-sept ans.
Honoré de Balzac est un des maîtres incontestés du roman français dont il a abordé plusieurs genres : le roman historique et politique, avec Les Chouans, le roman philosophique avec Le Chef-d'œuvre inconnu, le roman fantastique avec La Peau de chagrin ou encore le roman poétique avec Le Lys dans la vallée. Mais ses romans réalistes et psychologiques les plus célèbres comme Le Père Goriot ou Eugénie Grandet, qui constituent une part très importante de son œuvre, ont induit, à tort, une classification réductrice d'« auteur réaliste », aspect qui a notamment été attaqué et critiqué par le mouvement du Nouveau roman dans les années 1960.
Balzac a organisé ses œuvres en un vaste ensemble, La Comédie humaine, dont le titre est une référence à La Divine Comédie de Dante. Son projet est d'explorer les différentes classes sociales et les individus qui les composent. Il entend « faire concurrence à l'état civil » selon la formule qu'il emploie dans l'avant-propos de La Comédie humaine. Il a classé ses textes par ensembles génériques : Études de mœurs, Études analytiques, Études philosophiques. Il attachait une énorme importance aux Études philosophiques qui permettent de comprendre l'ensemble de son œuvre. La Peau de chagrin représentait selon ses propres termes « la clé de voûte qui relie les études de mœurs aux études philosophiques par l'anneau d’une fantaisie presque orientale où la vie elle-même est prise avec le Désir, principe de toute passion ». Honoré de Balzac a brossé un vaste tableau de la société de son temps créant des archétypes comme celui du jeune provincial ambitieux à la conquête de Paris, Eugène de Rastignac, de l'avare tyran domestique, Félix Grandet, de l'icône du père, Jean-Joachim Goriot, ce « Christ de la paternité », ou du bagnard reconverti en policier, Vautrin.
biographie
Son origine, sa jeunesse et ses années de formation
Fils de Bernard François Balssa, secrétaire au conseil du Roi, directeur des vivres, maire adjoint et administrateur de l’hospice de Tours, et d'Anne-Charlotte-Laure Sallambier, issue d'une famille de passementiers du Marais, Honoré de Balzac est l’aîné des quatre enfants du couple (Laure, Laurence et Henry). Sa sœur Laure est de loin sa préférée : il y a entre eux une complicité, une affection réciproque qui ne se dément jamais. Elle lui apportera son soutien à de nombreuses reprises : elle écrit avec lui, et en 1858, elle publie la biographie de son frère.
De 1807 à 1813, Honoré est pensionnaire au collège des oratoriens de Vendôme puis externe au collège de Tours jusqu’en 1814, avant de rejoindre cette même année la pension Lepitre, située rue de Turenne à Paris, puis en 1815 l’institution de l’abbé Ganser, rue de Thorigny. Les élèves de ces deux institutions du quartier du Marais suivaient en fait les cours du lycée Charlemagne. Le père de Balzac, Bernard François, ayant été nommé directeur des vivres pour la Première division militaire à Paris, la famille s’installe rue du Temple, dans le Marais.
Le 4 novembre 1816, Honoré de Balzac s’inscrit en droit, et obtient son baccalauréat en 1819. En même temps, il prend des leçons particulières et suit des cours à la Sorbonne. Sur l'impulsion de son père, Honoré passe ses trois ans de droit chez un avoué, ami des Balzac, Jean-Baptiste Guillonnet-Merville, homme cultivé qui avait le goût des lettres. Le jeune homme exerce le métier de clerc de notaire dans cette étude où Jules Janin était déjà « saute-ruisseau » (jeune clerc de notaire ou d’avoué chargé de faire les courses). Il utilisera cette expérience pour créer le personnage de Maître Derville et l’ambiance chahuteuse des « saute-ruisseau » d’une étude d’avoué dans le Colonel Chabert.
Première faillite et premiers succès
Dans le désarroi où se trouve le jeune Balzac, son seul soutien est Laure de Berny, la Dilecta, dont il devient l’amant en 1822. Cette femme, plus âgée de vingt ans, lui tient lieu d'amante et de mère. Elle l’encourage, le conseille, lui prodigue sa tendresse et lui fait apprécier le goût et les mœurs de l’Ancien Régime. Elle lui apporte aussi son aide lorsque, le 19 avril 1825, Balzac s’associe à Urbain Canel et Delongchamps pour éditer Molière et Jean de La Fontaine. Lâché par ses associés le 1er mai 1826, Balzac se retrouve avec une dette de seize mille francs, ce qui ne l'empêche pas, dès le 15 août 1827, de créer une fonderie de caractères avec le typographe André Barbier. Son affaire se révèle un immense échec financier : il croule sous une dette s’élevant à cent mille francs. Après cette faillite, Balzac revient à l’écriture, pour y connaître enfin le succès en 1829 avec la Physiologie du mariage, qui fait partie des « études analytiques », et le roman politico-militaire les Chouans, souvent qualifié à tort de roman historique. Ces réussites sont les premières d’une longue série : Balzac est un des écrivains les plus prolifiques de la littérature française. Il fréquente aussi les salons, notamment celui de la duchesse d'Abrantès, avec laquelle il a commencé une orageuse liaison en 1825 et à qui il tient lieu également de conseiller et de correcteur littéraire52. La dédicace de la Femme abandonnée s’adresse à elle. Balzac devient assez vite un homme à la mode.
De 1830 à 1835, il publie de nombreux textes qui tracent déjà les grandes lignes de la Comédie humaine. Les « études philosophiques » qu’il définit comme la clé permettant de comprendre l’ensemble de son œuvre ont pour base la Peau de chagrin (1831), Louis Lambert (1832), Séraphîta (1835), la Recherche de l'absolu (1834). Les scènes de la vie privée qui inaugurent la catégorie « études de mœurs » commencent avec Gobseck (1830), la Femme de trente ans (1831), et la construction de « l'édifice », dont il expose le plan dès 1832 à sa famille avec un enthousiasme fébrile, se poursuit avec les scènes de la vie parisienne dont fait partie le Colonel Chabert (1832-35). Il aborde en même temps les scènes de la vie de province avec le Curé de Tours (1832) et Eugénie Grandet (1833), ainsi que les scènes de la vie de campagne avec le Médecin de campagne (1833), dans lequel il expose un système économique et social de type Saint-simonien.
Ainsi prend forme « le grand dessein » qui, loin d’être une simple juxtaposition d’œuvres compilées a posteriori, se développe instinctivement au fur et à mesure des écrits de Balzac. Ses retouches maniaques et ses inspirations du moment lui font changer titre et nom des protagonistes à mesure que paraissent les œuvres60. L’auteur trouve des cousinages spontanés à ses personnages et revient en arrière selon sa technique de l’éclairage rétrospectif ». Par exemple : le Comte de Montcornet apparaît pour la première fois en 1809 dans La Paix du ménage paru en1830. Mais un an plus tôt, en 1808, il était déjà présent dans La Muse du département (paru 7 ans plus tard en 1837), où il participait à la Guerre d'indépendance espagnole.
Les dernières années et la mort
Entre 1847 et 1848, Balzac séjourne en Ukraine chez la comtesse Hańska. De plus en plus malade, Honoré de Balzac l’épouse à Berditchev le 14 mai 1850 et les époux s’installent à Paris le 21 mai. Mais le docteur Nacquart, qui soigne l’écrivain avec trois confrères pour un œdème généralisé, ne parvient pas à éviter une péritonite, suivie de gangrène69. Trois mois plus tard, Balzac meurt le 18 août à 23 heures 30, rue Fortunée, éreinté par les efforts prodigieux déployés au cours de sa vie et par l'excès de consommation de café. Son œuvre, si abondante et si dense, exigeait un travail vorace. La rumeur voudrait qu’il eût appelé à son chevet d’agonisant Horace Bianchon, le grand médecin de la Comédie humaine : il avait ressenti si intensément les histoires qu’il forgeait que la réalité se confondait à la fiction. Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise (division 48), où Victor Hugo prononça l’oraison funèbre. En 1855, la comtesse Hańska publie les Paysans (écrit en 1844 et inachevé). En 1854, Charles Rabou complète et publie le Député d'Arcis (écrit en 1847 et inachevé) et les Petits bourgeois (inachevé). En 1877 sont publiées ses œuvres complètes, en 24 volumes.
La Comédie humaine
L’œuvre balzacienne
Elle est indissociable de la vie de l’auteur dont il faut suivre les folies pour comprendre ce qui nourrissait son « monde ». Balzac multiplie déménagements, dettes, amours multiples, emprunts de faux noms, lieux de résidences secrets, séjours dans des châteaux : Saché, Frapesle. Le château de Saché servira de modèle au Lys dans la vallée qui deviendra dans le roman le château de Frapesle, demeure de Laure de Berny. Balzac fréquente aussi des banquiers, il voyage en Italie, se bat avec des problèmes d’argent, avec la presse et la critique littéraire. Ainsi construit-il son édifice imaginaire : il est capable d'étudier un personnage, un milieu, une situation, de remodeler l'ensemble et de le restituer dans sa complexité. Engels disait qu’il avait plus appris sur la société du XIX siècle dans Balzac que dans tous les livres des historiens, économistes et statisticiens professionnels. L’auteur de la Comédie humaine est en fait le plus balzacien de tous ses personnages. Il vit lui-même leur propre vie jusqu’à épuisement. Comme Raphaël dans la Peau de chagrin, chacune de ses œuvres lui demande un effort si considérable qu’elle rétrécit inexorablement son existence, qui fut très courte.
Le personnage balzacien
La Comédie humaine n’est pas seulement cette « concurrence à l’état civil » dont se réclamait l’auteur. C’est aussi une révolte. En effet, Balzac, théoriquement partisan d’une société divisée en classes immuables, n’aime que les personnages qui ont un destin. L’être balzacien par excellence est celui de l’excès. Tous ceux auxquels l’auteur s’est visiblement attaché sont des révoltés (Calyste du Guénic dans Béatrix, Lucien de Rubempré dans Illusions perdues), des hors-la-loi (Vautrin, Henri de Marsay dans Histoire des Treize), ou des bolides humains qui traversent avec violence les étages de la hiérarchie sociale (Eugène de Rastignac, Coralie ou Esther Gobseck dans Illusions perdues et Splendeurs et misères des courtisanes, Birotteau dans César Birotteau, le musicien extravagant Gambara, la femme « emmurée » dans la Grande Bretèche). La création du personnage balzacien se fait en trois étapes. D’abord, Balzac part de gens connus ou de personnages livresques, puis il change tout et enrichit le portrait d’éléments empruntés à d’autres modèles. Marie d'Agoult sert ainsi de base à Béatrix de Rochefide58. Dans la seconde étape, « il est guidé non plus par un désir de transposition littéraire, mais par les exigences intrinsèques à l’œuvre90 ». Comme un peintre prend du recul pour mieux voir son tableau, il ajoute une touche pour donner plus de relief à l’œuvre. Dans la troisième étape, il « déforme le personnage comme dans une hallucination58 » pour en faire l’incarnation d’une idée. Jean-Esther van Gobseck incarne la Puissance de l’Or, Jean-Joachim Goriot l’Amour Paternel, César Birotteau la Probité.
Elle est indissociable de la vie de l’auteur dont il faut suivre les folies pour comprendre ce qui nourrissait son « monde ». Balzac multiplie déménagements, dettes, amours multiples, emprunts de faux noms, lieux de résidences secrets, séjours dans des châteaux : Saché, Frapesle. Le château de Saché servira de modèle au Lys dans la vallée qui deviendra dans le roman le château de Frapesle, demeure de Laure de Berny. Balzac fréquente aussi des banquiers, il voyage en Italie, se bat avec des problèmes d’argent, avec la presse et la critique littéraire. Ainsi construit-il son édifice imaginaire : il est capable d'étudier un personnage, un milieu, une situation, de remodeler l'ensemble et de le restituer dans sa complexité. Engels disait qu’il avait plus appris sur la société du XIX siècle dans Balzac que dans tous les livres des historiens, économistes et statisticiens professionnels. L’auteur de la Comédie humaine est en fait le plus balzacien de tous ses personnages. Il vit lui-même leur propre vie jusqu’à épuisement. Comme Raphaël dans la Peau de chagrin, chacune de ses œuvres lui demande un effort si considérable qu’elle rétrécit inexorablement son existence, qui fut très courte.
Une passion du détail vrai
Doté du génie de l'observation, Balzac attache une grande importance à la documentation et décrit avec précision les lieux de ses intrigues, n'hésitant pas à se rendre sur place pour mieux s'imprégner de l'atmosphère, ou interrogeant des personnes originaires d'une ville qui joue un rôle dans son récit. Il a un sens aigu du détail vrai et son style devient jubilatoire dès qu'il s'agit de décrire. C'est pour cela que les personnages prennent tellement de place dans son œuvre et qu'il ne pouvait pas rivaliser avec Eugène Sue dans le roman-feuilleton. Il décrit minutieusement une rue, l'extérieur d'une maison, la topographie d'une ville, la démarche d'un personnage, les nuances de la voix et du regard. Il est à la fois scénographe, costumier et régisseur : « Balzac, par sa gestion si particulière de l'espace et du temps, a inventé l'écriture cinématographique. ». Les minutieuses descriptions de l’ameublement d’une maison, d'une collection d'antiquités, des costumes des personnages jusque dans les moindres détails — passementerie, étoffes, teintes — sont celles d’un scénographe, voire d'un cinéaste. L’auteur de La Comédie humaine plante ses décors avec un soin presque maniaque, ce qui explique l’engouement des metteurs en scène pour ses textes, souvent adaptés à l’écran (voir Films basés sur l'œuvre d'Honoré de Balzac). Il accorde un même soin à décrire le fonctionnement d'une prison, les rouages de l'administration, la mécanique judiciaire, les techniques de spéculation boursière, les plus-values que procure un monopole ou une soirée à l'Opéra et les effets de la musique.
Liens avec sa propre vie
L’œuvre est indissociable de sa vie, dont les vicissitudes font comprendre ce qui a nourri son « monde ». Il fascine ses contemporains par ses bagues, sa canne à pommeau d'or, sa loge à l'Opéra. Il vit avec une gourmandise insatiable, un appétit « d'argent, de femmes, de gloire, de réputation, de titres, de vins et de fruits ».
Il a multiplié déménagements, faillites, dettes, spéculations ruineuses, amours simultanées, emprunts de faux noms, séjours dans des châteaux, que ce soit à Saché ou à Frapesle, et a fréquenté tous les milieux sociaux. L'accès à l'aisance financière — « Avoir ou n’avoir pas de rentes, telle était la question, a dit Shakspeare » — est la motivation majeure de la plupart des mariages dans ses romans — comme ce le fut pour lui. Il montre un auteur poursuivi pour n'avoir pas livré à temps un manuscrit promis à son éditeur, tout comme cela lui est arrivé à lui-même96. Alors qu'il a dû se cacher longtemps dans un appartement secret pour échapper à ses créanciers, en inventant mille stratagèmes (voir ci-dessous « Rue des Batailles »), il met en scène un détective privé qui gagne sa vie en s'emparant de débiteurs insaisissables. À l'époque où, muni de l'argent que lui a confié Mme Hańska, il court les antiquaires à la recherche de tableaux et d'objets d'art pour meubler fastueusement leur demeure commune, il dessine le personnage du cousin Pons, un collectionneur passionné qui « pendant ses courses à travers Paris, avait trouvé pour dix francs ce qui se paye aujourd’hui mille à douze cents francs » et avait ainsi amassé une collection exceptionnelle.
Par leur psychologie, plusieurs personnages sont intimement liés à la personnalité de Balzac et apparaissent comme des doubles de leur créateur. On peut voir une part de lui dans les personnages de Séraphîta, Louis Lambert, La Fille aux yeux d'or et Mémoires de deux jeunes mariées. On le reconnaît aussi dans le narrateur de Facino Cane et surtout en Lucien de Rubempré, dont la trajectoire, qui s'étend sur ses deux plus grands romans (Illusions perdues et Splendeurs et misères des courtisanes), comporte de nombreux points communs avec la sienne : même début dans la poésie, même liaison de jeune homme avec une femme mariée, même ambition littéraire, même désir de quitter la province pour percer à Paris, etc. Tout comme Lucien se donne un titre de noblesse et des armoiries, Balzac a ajouté une particule nobiliaire à son nom et a fait peindre des armoiries sur la calèche qu'il avait louée pour aller rencontrer Mme Hańska à Vienne.
Style et méthode de travail
Il a presque toujours plusieurs ouvrages en chantier, étant à même de puiser dans sa galerie de personnages pour les intégrer à une intrigue et répondre à la demande d'un éditeur qui lui demande une nouvelle. Décrivant la méthode de travail de Balzac, André Maurois imagine que des centaines de romans flottent sur ses pensées « comme des truites dans un vivier, le besoin venu, il en saisit un. Quelquefois, il n'y réussit pas tout de suite. […] Si un livre vient mal, Balzac le rejette au vivier. Il passe à autre chose101 ». Il n'hésite pas à refondre ses textes antérieurs, changeant le titre d'un roman ou des noms de personnages, reprenant un texte d'abord publié sous forme de nouvelle pour l'intégrer dans une suite romanesque. Il élimine aussi dans l'édition définitive la division en chapitres.
Très doué pour le pastiche, Balzac imite facilement des écrivains et des voix particulières. Il va volontiers jusqu'à la caricature, comme pour le langage de la concierge du Cousin Pons103 ou le jargon du banquier Nucingen104. Il inscrit dans la trame de ses romans d'innombrables analogies cachées qui en forment l'armature symbolique et contribuent à donner un accent de vérité au récit. Son style, qui a été critiqué pour des fautes de goût dans les premières années, commence à s'élever à force de travail et dénote par la suite une grande maîtrise106. Il corrige inlassablement ses épreuves107, exigeant parfois qu'elles soient reprises jusqu'à quinze ou seize fois, et retournant à l'imprimeur des pages tellement barbouillées de corrections qu'elles faisaient le désespoir des typographes108, mais suscitent maintenant l'admirationn.
Le personnage balzacien
La Comédie humaine n’est pas seulement cette « concurrence à l’état civil » dont se réclamait l’auteur. C’est aussi une révolte. En effet, Balzac, théoriquement partisan d’une société divisée en classes immuables, n’aime que les personnages qui ont un destin. L’être balzacien par excellence est celui de l’excès. Tous ceux auxquels l’auteur s’est visiblement attaché sont des révoltés (Calyste du Guénic dans Béatrix, Lucien de Rubempré dans Illusions perdues), des hors-la-loi (Vautrin, Henri de Marsay dans Histoire des Treize), ou des bolides humains qui traversent avec violence les étages de la hiérarchie sociale (Eugène de Rastignac, Coralie ou Esther Gobseck dans Illusions perdues et Splendeurs et misères des courtisanes, Birotteau dans César Birotteau, le musicien extravagant Gambara, la femme « emmurée » dans la Grande Bretèche). La création du personnage balzacien se fait en trois étapes. D’abord, Balzac part de gens connus ou de personnages livresques, puis il change tout et enrichit le portrait d’éléments empruntés à d’autres modèles. Marie d'Agoult sert ainsi de base à Béatrix de Rochefide58. Dans la seconde étape, « il est guidé non plus par un désir de transposition littéraire, mais par les exigences intrinsèques à l’œuvre90 ». Comme un peintre prend du recul pour mieux voir son tableau, il ajoute une touche pour donner plus de relief à l’œuvre. Dans la troisième étape, il « déforme le personnage comme dans une hallucination58 » pour en faire l’incarnation d’une idée. Jean-Esther van Gobseck incarne la Puissance de l’Or, Jean-Joachim Goriot l’Amour Paternel, César Birotteau la Probité.
L’entourage
Si Balzac attire les femmes, c'est d'abord parce qu'il les décrit dans ses romans avec une grande finesse psychologique. Comme le note un de ses contemporains : « Le grand, l'immense succès de Balzac lui est venu par les femmes : elles ont adoré en lui l'homme qui a su avec éloquence, par de l'ingéniosité encore plus que par la vérité, prolonger indéfiniment chez elles l'âge d'aimer et surtout celui d'être aimées. ». Une caricature le montre porté en triomphe par des femmes de trente ans.
Les liaisons balzaciennes
Balzac a entretenu de nombreuses relations amoureuses avec des femmes qui, souvent, le finançaient ou l’abritaient quand il était poursuivi par la police. À vrai dire, à l’exception de Laure de Berny et de Marie du Fresnay, ce sont presque toujours les femmes qui ont fait appel à lui en premier, sous forme de lettres d’admiratrices, comme la Comtesse Hanska, la Duchesse de Castries, Caroline Marbouty, ou sous forme d’invitations répétées et insistantes, comme la Comtesse Guidoboni-Visconti (née Lovell), issue de la plus ancienne gentry anglaise, Olympe Pélissier, sa simple « amie » Zulma Carraud mariée à un homme très âgé et qui volait sans relâche au secours d’un écrivain pour lequel elle nourrissait sans doute de tendres sentiments, et aussi une riche veuve, la baronne Caroline Deurbroucq, qu'il eut le projet d'épouser en 1832, et qu'il avait rencontré au château de Méré, chez le banquier Goüin, où Balzac allait trois fois par semaine, à pied, s'enquérir d'elle.
La plupart de ces femmes ont été « transposées » en personnages de La Comédie humaine. Le portrait d’Eugénie Grandet est sans doute celui de Marie du Fresnay dont il eut une fille (nommée Marie-Caroline). Le personnage de Dinah de La Baudraye dans La Muse du département est inspiré de Caroline Marbouty qui s'est déguisée en homme pour voyager avec Balzac en Italie. Vexée par la vision que l’écrivain donnait d’elle – une pâle imitation de George Sand –, Caroline a publié sous le pseudonyme de Claire Brunne un roman vengeur avec un portrait peu flatteur de Balzac. La comtesse Guidoboni-Visconti, qui sauve Balzac au moment où on vient l’arrêter chez elle pour dettes, en payant la somme demandée par la police, a « posé » pour le personnage de Lady Dudley du Lys dans la vallée, avec un certain goût du jeu, car si elle avait le feu et la passion du personnage, elle était plus généreuse et moins perverse. La Duchesse de Castries, à laquelle Balzac dédicace L'Illustre Gaudissart, une pochade qu’elle juge indigne de son rang – un des plus anciens blasons du faubourg Saint-Germain –, retrouve avec satisfaction son portrait dans La Duchesse de Langeais, du moins le croit-elle. Quant à Olympe Pélissier, c’est un mélange de toutes les demi-mondaines qui traversent La Comédie humaine sans grande souffrance (Florine, Tullia) – elle est la maîtresse d’Eugène Sue en 1847 avant d’épouser Gioachino Rossini. La scène de chambre de La Peau de chagrin a été jouée par Balzac lui-même chez Olympe, mais celle-ci ne ressemble en rien à Fœdora, brillante et moqueuse, et elle aura toujours avec Balzac des rapports amicaux et bienveillants.
Laure de Berny
En 1821, alors qu'il est de retour chez ses parents à Villeparisis, Balzac entre en relation avec Mme de Berny. Quoique son prénom usuel soit Antoinette, Balzac l'appellera toujours par son deuxième prénom, Laure, qui est aussi celui de sa sœur et de sa mère, ou la désigne comme la dilecta (la bien-aimée). Celle-ci, qui est alors âgée de 45 ans, a neuf enfants, parmi lesquels quatre filles, dont Julie, issue d'une liaison avec André Campi ayant duré seize ans, de 1799 à 1815. Encore belle, dotée d'une grande sensibilité et d'une expérience du monde, elle éblouit le jeune homme, qui en devient l’amant en 1822, préférant la mère à sa fille Julie qu'elle lui proposait d'épouser164. Laure lui tient lieu d'amante et de mère et forme l'écrivain. Elle l’encourage, le conseille, lui prodigue sa tendresse et lui fait apprécier le goût et les mœurs de l’Ancien Régime. Elle lui apporte aussi une aide financière substantielle lorsqu'il a des problèmes d'argent et qu'il est poursuivi par les huissiers. Il lui gardera une reconnaissance durable. À sa mort, en 1836, Balzac écrit : « Mme de Berny a été comme un Dieu pour moi. Elle a été une mère, une amie, une famille, un ami, un conseil ; elle a fait l'écrivain. ». Leur correspondance ayant presque entièrement été détruite, seules quelques rares lettres témoignent aujourd'hui de la jalousie qu'elle éprouva lors des liaisons subséquentes de son amant, mais sans jamais lui en tenir rigueur.
Balzac s'en inspire pour créer le personnage de madame de Mortsauf, héroïne du Lys dans la vallée, et lui dédie d'ailleurs l'ouvrage. Elle a aussi des points communs avec le personnage de Flavie Colleville des Petits Bourgeois. Stefan Zweig la reconnaît aussi dans la description de l'héroïne de Madame Firmiani : « Sa raillerie caresse et sa critique ne blesse point […] elle ne vous fatigue jamais, et vous laisse satisfait d’elle et de vous. Chez elle, tout flatte la vue, et vous y respirez comme l’air d’une patrie […] Cette femme est naturelle. Franche, elle sait n’offenser aucun amour-propre ; elle accepte les hommes comme Dieu les a faits […] À la fois tendre et gaie, elle oblige avant de consoler ».
Zulma Carraud
Zulma Carraud était une amie d'enfance de sa sœur Laure. Cette « femme de haute valeur morale, stoïcienne virile168 » vivait à Issoudun, était mariée et avait des enfants. Balzac la connaît depuis 1818, mais leur amitié ne se noue que lors de l'installation de sa sœur à Versailles, en 1824. Leur correspondance aurait commencé dès cette date, mais les premières années en ont été perdues. Dans ses lettres, Zulma se révèle une des amies les plus intimes et les plus constantes de l'écrivain. C'est chez elle qu'il se réfugie quand il est malade, découragé, surmené ou poursuivi par ses créanciers170. Elle lui rappelle l'idéal républicain et l'invite à plus d'empathie pour les souffrances du peuple. Quoique n'étant pas elle-même très riche, elle vole sans relâche à son secours. Elle est parmi les femmes qui ont joué un grand rôle dans sa vie.
La duchesse d'Abrantès
En 1825, il commence une autre liaison avec la duchesse d'Abrantès. Cette femme, qui a quinze ans de plus que lui, le fascine par ses relations et son expérience du monde. Veuve du général Junot, qui avait été élevé au rang de duc par Napoléon, elle a connu les fastes de l'Empire avant de fréquenter les milieux royalistes. Elle a été l'amante du comte de Metternich. Ruinée et forcée de vendre ses bijoux et son mobilier, elle s'installe modestement à Versailles. C'est par une amie de sa sœur, qui vivait aussi à Versailles, que Balzac fait sa connaissance. Il est séduit, mais elle ne lui offre d'abord que son amitié, qui se transforme peu après en amour partagé. Quoiqu'elle se prénomme Laure, Balzac ne l'appellera jamais que Marie. Elle lui donne des renseignements sur la vie dans les châteaux et les personnalités qu'elle a côtoyées. De son côté, il lui conseille d'écrire ses mémoires et lui tient lieu de conseiller et de correcteur littéraire. La duchesse d'Abrantès a servi de modèle à la fois à la vicomtesse de Beauséant dans La Femme abandonnée, ouvrage qui lui est dédié, et à la duchesse de Carigliano dans La Maison du chat-qui-pelote, ainsi qu'à certains traits de Félicité des Touches. Balzac rédige La Maison à Maffliers, près de L'Isle-Adam en 1829, alors que la duchesse d’Abrantès séjourne chez les Talleyrand-Périgord non loin de là.
Aurore Dudevant / George Sand
En 1831, Balzac fait la connaissance d'Aurore Dudevant fuyant son mari et tentant sa chance à Paris. Il lui fait lire La Peau de chagrin et cet ouvrage suscite son enthousiasme. En février 1838, il va retrouver « le camarade George Sand » dans son château de Nohant. Au cours des six jours qu'il y est resté, ils passent les nuits à bavarder, de « 5 heures du soir après le dîner jusqu'à 5 heures du matin ». Elle lui fait fumer « un houka et du lataki ». Rendant compte de cette expérience, il espère que le tabac lui permettra de « quitter le café et de varier les excitants dont j'ai besoin pour le travail ». Par la suite, il continue à la rencontrer dans le salon qu'elle tient à Paris, où elle vit en couple avec Chopin. Ils échangent sur des questions de structure romanesque ou de psychologie des personnages et elle lui donne parfois des suggestions d'intrigues qu'elle ne pouvait pas traiter elle-même, notamment Les Galériens et Béatrix ou les Amours forcés. Il est aussi arrivé qu'elle signe un récit de Balzac que ce dernier ne pouvait pas faire accepter par son éditeur parce qu'il y en avait déjà trop de sa plume dans un même recueil. Balzac lui dédie les Mémoires de deux jeunes mariées. De l'aveu même de l'auteur, elle a servi de modèle, dans Béatrix, au portrait de Félicité des Touches, un des rares portraits de femme qu'il ait faits conformes à la réalité. Dans une lettre à Mme Hańska, il nie toutefois qu'il y ait eu autre chose que de l'amitié dans sa relation avec l'écrivaine.
Olympe Pélissier
Dès 1831, Balzac fréquente le salon d'Olympe Pélissier, « belle courtisane intelligente » qui fut la maîtresse d’Eugène Sue avant d’épouser Rossini en 1847. Il a avec elle une brève liaison. Les personnages de demi-mondaines qui traversent La Comédie humaine, telles Florine et Tullia, lui doivent beaucoup. La scène de chambre de La Peau de chagrin aurait été jouée par Balzac lui-même chez Olympe, mais celle-ci ne ressemble en rien à Fœdora, et elle aura toujours avec lui des rapports amicaux et bienveillants. Ce dernier continuera à fréquenter son salon. Quant à la Fœdora de la nouvelle, Balzac précise dans une lettre : « J'ai fait Fœdora de deux femmes que j'ai connues sans être entré dans leur intimité. L'observation m'a suffi outre quelques confidences. ».
La duchesse de Castries
Au début de l'année 1832, parmi les nombreuses lettres qui lui viennent de ses admiratrices, Balzac en reçoit une de la duchesse de Castries, belle rousse au front élevé, qui tient un salon littéraire et dont l'oncle est le chef du parti légitimiste. Immédiatement intéressé, Balzac va lui rendre visite et lui offre des feuillets manuscrits de La Femme de trente ans, dont elle est en fait le modèle, au physique et au moral. En amoureux transi, il se rend à son château d'Aix-les-Bains, où il passe plusieurs jours à écrire, tout en faisant la connaissance du baron James de Rothschild, avec qui il noue une relation durable. Il l'accompagne ensuite à Genève en octobre de la même année, mais rentre dépité de ne pas voir ses sentiments partagés et va se faire réconforter auprès de la dilecta.
Il témoigne de cette déception amoureuse dans La Duchesse de Langeais : « Elle avait reçu de la nature les qualités nécessaires pour jouer les rôles de coquette […] Elle faisait voir qu'il y avait en elle une noble courtisane […] Elle paraissait devoir être la plus délicieuse des maîtresses en déposant son corset. ». On l'a également reconnue dans le personnage de Diane de Maufrigneuse. Mme de Castries, qui avait du sang britannique, inspirera aussi en partie le personnage de lady Arabelle Dudley du Lys dans la vallée. Balzac lui dédie L'Illustre Gaudissart, une pochade qu’elle juge indigne de son rang, alors qu'elle est « un des plus anciens blasons du faubourg Saint-Germain ». Il continue toutefois à la voir de façon sporadique et c'est sans doute grâce à elle qu'il peut avoir une entrevue avec Metternich.
Marie du Fresnay
En 1833, il noue une intrigue secrète avec « une gentille personne, la plus naïve créature qui soit tombée comme une fleur du ciel ; qui vient chez moi, en cachette, n'exige ni correspondance ni soins et qui dit : « Aime-moi un an ! Je t'aimerai toute ma vie ».
Marie du Fresnay, surnommée Maria, avait alors 24 ans et attendait une fille de Balzac, Marie-Caroline du Fresnay. Balzac lui dédiera en 1839 le roman Eugénie Grandet, qu'il était alors en train d'écrire et dont l'héroïne est inspirée de la jeune femme. Il citera également sa fille dans son testament.
La comtesse Guidoboni-Visconti
En avril 1835, Balzac a le coup de foudre pour la comtesse Guidoboni-Visconti, née Frances-Sarah Lovell, issue de la plus ancienne gentry anglaise. Il la décrira plus tard comme « une des plus aimables femmes, et d'une infinie, d'une exquise bonté, d'une beauté fine, élégante […] douce et pleine de fermeté ». Une jeune amie de la contessa décrit ainsi les affinités entre ces deux personnalités :
« Tu me demandes qu'est-ce que c'est que cette […] passion de M. de Balzac pour Madame Visconti ? Ce n'est autre chose que, comme Madame Visconti est remplie d'esprit, d'imagination, et d'idées fraîches et neuves, M. de Balzac qui est aussi un homme supérieur, goûte la conversation de Madame Visconti, et comme il a beaucoup écrit et écrit encore, il lui emprunte souvent de ces idées originales qui sont si fréquentes chez elle, et leur conversation est toujours excessivement intéressante et amusante. »
Ils se verront très fréquemment durant cinq ans. Balzac l'accompagne dans sa loge à l'Opéra et, selon certaines sources, elle aurait eu un enfant de lui. D'une grande indépendance d'esprit, elle ne cherche pas à accaparer l'écrivain comme le fait Mme Hańska, à qui celui-ci continue à écrire des lettres l'assurant d'un amour exclusif et niant qu'il y ait autre chose qu'une relation platonique avec la contessa. En 1836, celle-ci et son mari confieront à Balzac une mission en Italie, au cours de laquelle l'écrivain se fait accompagner de Caroline Marbouty, jeune femme un peu fantasque, à qui il demande de se travestir en « page » et qu'il appelle Marcel, dans l'espoir d'éviter les commérages. À son retour, il apprend la mort de Mme de Berny.
Les Guidoboni-Visconti l'aideront financièrement à plusieurs reprises, le faisant échapper à la prison pour dette, lui donnant asile pendant plusieurs semaines en 1838196 et dissimulant ses objets précieux lorsqu'il est poursuivi par les huissiers. Cette relation devient tendue lorsque, en 1840, le comte lui-même est attaqué en justice pour avoir aidé Balzac à échapper à ses créanciers, mais il signera encore une prolongation de prêt à l'écrivain en 1848.
La comtesse a inspiré le personnage de Lady Dudley du Lys dans la vallée, du moins sur le plan physique, car, si elle avait le feu et la passion du personnage, elle était plus généreuse et n'en avait pas la perversité.
Mme Hańska
Balzac voue sa passion la plus durable à la comtesse Hańska, une admiratrice polonaise mariée à un maréchal résidant en Ukraine. Sans doute en guise de jeu, celle-ci lui adresse une première lettre, qui lui arrive le 28 février 1832. Signant L'étrangère, elle demandait de lui en accuser réception dans le journal La Gazette de France. Elle avait alors 31 ans, mais en avouait, et avait eu plusieurs enfants, dont seule une fille, Anna, avait survécu.
ses voyages
Balzac a beaucoup voyagé : Ukraine, Russie, Prusse Autriche, Italie. Le 13 octobre 1846, il assiste au mariage d'Anna Hańska, fille d'Ewelina Hańska, à Wiesbaden233. Mais bien peu de lieux, en dehors de Paris et de la province française, seront une source d’inspiration pour lui. Seule l’Italie lui inspire une passion qu’il exprime dans de très nombreux écrits, notamment les contes et nouvelles philosophiques. En Russie, c’est plutôt Balzac qui laissera ses traces en inspirant Dostoïevski.
L’Italie
Il aime l’Italie, cette « mère de tous les arts », pour sa beauté naturelle, pour la générosité de ses habitants, pour la simplicité et l’élégance de son aristocratie, qu’il considère comme « la première d’Europe », pour le génie de ses musiciens (Rossini). Envoyé en 1836 à Turin par ses amis Guidoboni-Visconti, il découvre cette même année Milan où il est l’hôte du prince Porcia auquel il enverra en juin 1837 le manuscrit de Massimilla Doni, puis l’année suivante Venise, pays des merveilles. Balzac ne tarit pas d’éloges sur ces splendeurs, et il place Lord Byron dans la catégorie des « hypocrites qui plaignent la décadence de Venise ».
Honoré de Balzac est au contraire ébloui par la créativité italienne perçue via le Mosé et le Barbier de Séville de Rossini, qu’il rencontre à Bologne, et auquel il consacre deux nouvelles jumelles : Massimilla Doni et Gambara. Il est également ébloui par les beautés de Florence, de Gênes, de Rome, par ses peintres, sculpteurs, architectes qui servent partiellement de cadre à Sarrasine et Facino Cane. S’il a été enthousiasmé par la Chartreuse de Parme, c’est aussi parce que le roman de Stendhal offre des statues italiennes comparables à celles des jardins des grandes villas. Un engouement que l’Italie lui rend bien puisqu’il y est accueilli à bras ouverts. Même ses désastreux investissements dans les mines argentifères de Sardaigne ne le dégoûtent pas de ce pays.
La Russie
C’est au contraire avec un peu de méfiance qu’on le voit arriver à Saint-Pétersbourg en 1843 pour aider Madame Hanska dans une affaire de succession. Sa réputation d’endetté l’a précédé. À Paris déjà, lorsqu’il demande un visa, le secrétaire d’ambassade Victor de Balabine suppose qu’il va en Russie parce qu’il n’a pas le sou, et le chargé d’affaires russe à Paris propose à son gouvernement « d’aller au-devant des besoins d’argent de Monsieur de Balzac et de mettre à profit la plume de cet auteur, qui garde encore une certaine popularité ici, … pour écrire une réfutation du livre calomniateur de Monsieur de Custine. » Ce en quoi il se trompe. Balzac ne réfutera pas Astolphe de Custine, non plus qu’il cherchera des subsides à Saint-Pétersbourg. Il n’est venu que pour voir madame Hanska. Balzac est déjà très aimé et très lu en Russie. Le public le considère comme l’écrivain qui a « le mieux compris les sentiments des femmes ». Parmi ses admirateurs : un jeune homme qui se flatte d’avoir lu tout Balzac dès l’âge de seize ans et qui fait ses premiers pas en littérature en traduisant, en 1841, Eugénie Grandet : Fiodor Dostoïevski à qui ce roman va inspirer notamment Les Pauvres gens.